Hommage à Amadou Waïgalo

Actu de l'Iram

Amadou Waïgalo, un des pionniers des Centres de Prestations de Services dans la zone de l’Office du Niger et grand défenseur des paysans du Mali nous a quittés le 8 janvier 2021.

« Nous avons perdu mon frère Amadou Waïgalo de Faranfasi so, le 8 janvier passé. Il était actuellement depuis 2018, Directeur adjoint de la Nouvelle société de Sucrerie de Dougabougou. Que son âme repose en paix », annonçait avec tristesse son ami Yacouba.

Dans ce texte mis en forme par Etienne Beaudoux et Liora Stuhrenberg avec les contributions de Jean-Bernard Spinat, Pascal Babin, Christophe Rigourd, qui ont eu la chance de travailler à ses côtés ces dernières années, et la participation de Bakary Traoré, il nous semblait juste de lui rendre aujourd’hui hommage.

Les Centres de Prestations de Services initiés en 1995 au Mali dans la zone de l’Office du Niger furent marqués par l’alliance de leaders paysans convaincus, d’agents Iram et de cadres nationaux hyper-engagés (Marie-Jo Doucet, Jean Bernard Spinat, Bakary Traoré) ainsi que de conseillers de terrain dont Amadou Waïgalo est un exemple solide.

Les conseillers de terrain promus avaient un profil très novateur : ce n’était pas en priorité des techniciens agricoles comme dans les grands projets de vulgarisation agricole mais plutôt des juristes, des comptables ou des spécialistes des marchés agricoles, engagés après une période de terrain concluante (à Niono) et responsables devant un groupe de paysans et leur structure professionnelle (Faranfasi-So) : tout cela était « révolutionnaire » à l’époque, facilité par un bailleur de fonds ouvert à des innovations, et difficile à comprendre pour des agents de l’Office formatés aux normes de l’administration. 

Jean-Bernard Spinat se rappelle de ce contexte et de sa rencontre avec Amadou Waïgalo au Faranfasi-So : « Devenu chef du projet sur les Centres de Prestations de Services à partir de 1995, l’une de mes premières tâches a été de recruter les premiers conseillers des Centres, en comptabilité et gestion mais aussi des conseillers juridiques, ce qui, je pense, constituait une relative innovation en soi. Je ne me souviens plus de la date exacte du recrutement d’Amadou Waïgalo mais il fut l’un des deux premiers conseillers juridiques (avec Youssouf Cissé, aujourd’hui notaire à Kayes). J’ai eu la chance de travailler avec lui très directement, quasiment au quotidien, jusqu’en 1998, puis on s’est recroisé à l’occasion de quelques missions plus ponctuelles jusqu’au début des années 2000 : il était devenu un interlocuteur incontournable. Le processus de recrutement avait été très exigeant, avec de multiples niveaux de validation dans lesquels les paysans étaient impliqués. Il fallait donc avoir des qualités intellectuelles et des connaissances avérées dans son domaine, ainsi que la capacité de convaincre un expatrié français autant que des leaders paysans. Sans conteste Amadou avait toutes ces qualités et bien d’autres encore qu’il saura déployer au fil du temps. »

Dans un entretien accordé en 2008 à la revue Défis Sud, Amadou Waïgalo décrivait lui-même ses activités de coordinateur de la Fédération des centres Faranfasi So : « Notre mission est de suivre et de conseiller les paysans dans tous les secteurs d’activités, que ce soit à propos de l’exploitation familiale, de l’appui aux groupements de femmes, de l’appui au crédit ou de l’alphabétisation ». La Fédération a prospéré et s’est consolidée autour de la production et diffusion de semences de riz et d’opérations de commercialisation de riz auprès de clients institutionnels. Elle a ensuite développé ses activités avec l’appui aux irrigants.

Et Pascal Babin témoigne : « J’ai travaillé avec Amadou Waïgalo, en 2003 et 2004, pour accompagner une transition entre la fin du projet sur les Centres de Prestations de Services et le début d’accompagnements directs de l’Agence Française de Développement à la Fédération Faranfasi-So. Il s’agissait notamment de réaliser le plan d’affaire de la Fédération au lendemain des accompagnements directs du PCPS. J’ai ensuite travaillé à la capitalisation du système de suivi-évaluation de la Fédération, pour en faire un système de suivi évaluation interne, capable de supporter un partenariat direct avec l’AFD, ce qui fut mis en œuvre dans le cadre du Projet d’appui au développement de la zone Office du Niger. Dans tout ce travail, si c’est moi qui tenais la plume, c’est Amadou qui conservait la mémoire de tout ce qui avait été fait et appris dans le cadre du projet PCPS, et qu’il restituait et défendait avec enthousiasme. »

Tous ceux qui ont travaillé avec lui donnent d’Amadou Waïgalo une image forte. Jean-Bernard Spinat raconte ainsi : « Amadou Waïgalo m’avait tout de suite séduit par sa faconde mais aussi – surtout – par sa franchise et sa relation très directe, quel que soit l’interlocuteur. C’est l’un des traits de caractère que j’ai le plus apprécié chez lui. Etant alors « chef de projet » dans un contexte d’affrontement très dur avec l’Office du Niger, les dialogues francs et distanciés étaient rares dans mes relations de terrain. Heureusement que des personnes comme Amadou, Youssouf et d’autres jeunes conseillers étaient présents et ont su apporter et adapter leurs savoirs auprès des responsables paysans tout en conservant leurs convictions. Il fallait une sacrée force de caractère et un goût certain pour la vie en milieu rural pour tenir. Sans eux, et en particulier sans Amadou Waïgalo, les Centres Faranfasi So n’auraient jamais pu se développer et s’adapter aux évolutions. »

Pascal Babin confirme cette force de caractère : « Durant des semaines et des soirées passées à Niono, hébergés dans la case de passage de l’Office du Niger où l’on mangeait invariablement du poulet frit et des haricots verts, servis par le célèbre Monsieur Bah, Amadou était devenu un ami. Nous avons passé des journées et des soirées interminables à travailler avec les leaders paysans des Centres de Prestation de Services. L’engagement d’Amadou ne faiblissait jamais. Il apportait toujours de l’énergie. Il n’y a aucun doute sur le fait que, durant toutes ces séances de travail, l’engagement, l’énergie et l’exigence d’Amadou nous amenaient à travailler plus et mieux. Il portait la mémoire de la relation mi-conflictuelle, mi-partenariale des organisations professionnelles agricoles avec l’Office du Niger. Il se plaçait toujours, en cadre engagé, du côté des organisations paysannes, dans une démarche constructive, assumant les moments de conflits et soutenant les organisations agricoles dans ces moments-là. Sa compétence de juriste leur a été extrêmement précieuse. Il avait une mémoire vive du combat mené par les associations villageoises, traditionnellement appelées TONs, dans la zone pour surmonter la période de surendettement qui avait donné naissance au projet Centres de Prestations de Services. Il faut se souvenir que les organisations professionnelles agricoles, alors nouvellement créées, s’étaient retrouvées endettées à la suite d’opérations de commercialisation de riz auprès de commerçants véreux qui ne les payèrent pas. Cet endettement était devenu catastrophique avec le déclenchement des procédures de recouvrement inadaptées de la Banque nationale de développement agricole qui rajoutait à la dette initiale des intérêts de retard et frais de recouvrement, jusqu’à doubler la dette première. Un des faits d’arme d’Amadou fut d’avoir bataillé aux côtés des paysans face à la Banque nationale de développement agricole, jusqu’au tribunal, pour renégocier la dette et la rendre supportable. »

Amadou était professionnel et amical. Il avait une identité et une personnalité fortes, qui lui permettaient de construire des relations humaines sincères, décomplexées et franches. Il s’adressait avec le même ton à un responsable paysan ou à un cadre de l’Agence Française de Développement. Dans la poursuite de son expérience avec Faranfasi So, il avait pris des responsabilités importantes dans les organisations nationales et sous régionales de producteurs de riz.

Il exprimait lucidement ses convictions sur l’avenir de la zone : « si nous voulons amorcer le développement économique, au lieu de nous diriger vers l’agro-business, nous devons aller vers des exploitations familiales soutenues dans leur processus de production, soit par l’Etat, soit par les institutions de microfinance ». Par ailleurs il participa à des tentatives de mise en relation de conseillers des Centres de Prestations de Services avec ceux des centres de gestion en zone coton en vue d’avancer dans la promotion du métier de conseiller rural.

Amadou était aussi quelqu’un de joyeux, avec qui l’on pouvait prendre du recul sur les sujets les plus sérieux grâce à l’humour. « J’ai encore en tête le souvenir des rires d’Amadou et du président de la Fédération, Moussa Kané », raconte Pascal Babin. « Je me souviens des longues après-midis à Niono, passées avec Amadou et Moussa en complicité, à animer des séances de travail avec les élus des Centres de Prestations de Services, à consommer des arachides et à enchaîner les thés pour résister à la fatigue. Je me souviens d’une puissante tempête de poussière, pendant laquelle nous nous réfugiâmes ensembles dans les bureaux de la Fédération ».

Ce que confirme Christophe Rigourd : « j’avoue avoir beaucoup aimé travailler avec lui sur une étude de synthèse sur les systèmes d’irrigation il y a quelques années, entre 2008 et 2012, puis sur quelques autres études ou dans le cadre d’ateliers où nous nous étions croisés régulièrement depuis. J’appréciais beaucoup son énergie et son franc parlé, ses rires, sa façon de titiller l’Office ou l’administration. Je me souviens encore de sa façon de m’appeler « Ah RigOUUUURD ! » et de nos longues discussions sur la route entre Niono et Bamako pour débriefer une mission et refaire un peu le monde. On se plaisait à imaginer une expansion du modèle des Centres de Prestations de Services à toutes les zones de l’Office - c’est fait ! - et aussi vers le Nord, à la zone des Périmètres irrigués villageois du Delta Central - ça reste à faire ! »

« Je me souviens également d’une brève visite dans sa famille à Niono, dans une demeure extrêmement modeste, semblable à toutes celles du quartier, bien éloignée du standard auquel un cadre de son niveau aurait pu prétendre », ajoute Pascal Babin. « L’engagement d’Amadou, c’était aussi cela, accepter de partager la condition de ceux pour lesquels il travaillait, les paysans de la zone de l’Office du Niger. »

Il est parti bien trop vite, il manquera à de très nombreuses personnes, à commencer par la Fédération et son Président Moussa Kané. Les paysans de la zone Office du Niger, et l’ensemble des paysans maliens, perdent un de leurs plus fervents défenseurs. Nous perdons un partenaire engagé et Amadou Waïgalo fait indéniablement parti de ces professionnels qui ont compté pour l’Iram. « Il connaissait plus d’Iramiens que beaucoup d’Iramiens ! Et par certains côtés, il n’était pas moins Iramien que beaucoup d’entre nous ! », raconte Pascal.  « Niono sera un peu moins joyeux sans Waïgalo », ajoute Christophe.

 

Crédits photo : Pierre Coopman, pour Défis Sud n°86, décembre 2008

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