Bernard Lecomte nous a quittés

Actu de l'Iram

Bernard Lecomte est décédé au début de ce mois d'août. Ce texte en sa mémoire a été rédigé par Etienne Beaudoux, ancien salarié et membre de l'Iram, en grande partie sur la base d'échanges de mails avec Bernard. Si vous souhaitez vous manifester auprès de sa famille : rb-lecomte@wanadoo.fr

"T'inquiètes", te dirait l'un de mes petits-fils avec lesquels j'ai fêté mes 90 ans en octobre écrivait-il à l’époque s’amusant avec humour de sa « sénilité »,« suroccupation », « insuffisance de concentration » … ne retrouvant pas le livre des 60 ans IRAM !

Bravo, l’ami Bernard, qui nous surprend encore : partir dans sa 94ème année en laissant un dernier message d’optimisme, nourri par ses convictions profondes : « Je suis prêt à partir ! Heureux de ma vie bien remplie que vous avez rendue belle et fort de ma foi qui me rend serein. Merci de votre amour, de vos prières et de vos pensées. Au revoir ! je vous aime ! » (faire-part dans le journal Le Monde, du jeudi 11 août 2022).

Jean François Barrès un ancien de l'IRAM se souvient : « Sur les conseils de Guy Belloncle, j’ai rencontré Bernard pour la première fois en 1963 à Dakar lors d’un stage de 3ème année d’école d’ingénieurs avec deux autres collègues. Il était responsable de l’équipe CINAM qui aidait Mamadou Dia et son équipe à préparer les perspectives décennales et le 1er Plan de Développement du Sénégal. Son enthousiasme pour le développement de l’Afrique était contagieux et nous rêvions tous de joindre la CINAM ! »

En effet, Bernard Lecomte, ingénieur venant du monde des grands industriels textiles du Nord de la France, avait fait le choix du Père Lebret au Sénégal au service de Mamadou Dia avec l’équipe CINAM. Après la rupture Dia-Senghor, il a poursuivi son engagement dans le monde de la coopération pour le développement, assurant la direction de la CINAM quelques années.

Dans les années 70 et 80, il a travaillé au CESAO à Bobo-Dioulasso et créé avec Bernard Lédéa Ouédraogo l’association 6S « Se servir de la saison sèche en savane dans le Sahel » autour du principe de l’accompagnement via des fonds souples, sans définition préalable d’un projet.

Il a opté pour l’accompagnement des acteurs du Sud dans leurs engagements mais sous des formes moins conventionnelles que la coopération classique, s’impliquant dans le soutien aux ONGs et surtout aux organisations paysannes et de la société civile naissante. Et il demeure vigilant sur les pratiques avec les ONGs tant du Nord que du Sud.

Il s’insurge sur le modèle de « l’aide par projet » dans une publication de l’OCDE en 1984 et, avec Marie-Christine Guéneau (devenue notre collègue IRAM, tellement regrettée), ils écrivent :

« Ce livre est le fruit de "coups de colère ". Colères face à l'observation répétée des mêmes défauts, au sein des projets des ONG du Nord et du Sud et des coopérations publiques. L'aide ne joue-t-elle pas contre les dynamiques paysannes ? Dans quelle mesure ne freine-t-elle pas leurs initiatives ? A trop vouloir aider, ou aller trop vite ou trop prévoir, ne risque-t-on pas de les empêcher de progresser selon leurs idées et avec leurs propres ressources ? A chaque chapitre sont traités une analyse des pratiques du système d'aide, un diagnostic et des propositions de changement des méthodes et des comportements. » [Sahel : les Paysans dans les Marigots de l'aide, l’Harmattan, 1998].

Et il devint le soutien des organisations paysannes en Afrique de l’Ouest et du Centre, ainsi que de leurs leaders (responsables professionnels comme Mamadou Cissokho du ROPPA ou Bernard Lédéa du mouvement Naam et leurs soutiens comme Bernard Njonga au Cameroun).

« J’admirais Bernard (Njonga) depuis le premier jour de notre rencontre » écrivait-il au moment de son décès en février 2021. Et au moment de la mort de Bernard Lédéa, il écrivait à ses amis :

« Bonjour,

Fier et heureux d'avoir agi aux cotés de "Lédea".
Que Dieu accueille notre Bernard,
Qu'il le félicite d'avoir,
grâce à son inébranlable ténacité,
libéré l'énergie de ses semblables.

Qu'il l'apaise une fois pour toutes
lui faisant oublier les coups bas reçus
et lui pardonnant ses exclusions.

Réjouissons nous, nous ses amis, d'avoir nous-mêmes pu profiter de ses capacités
et de voir aujourd'hui sa passion, les Naams, se développer autour de son fils Joël.

Lédéa  est, pour moi, le champion du combat pour la fameuse "Souveraineté alimentaire" !
N'a t 'il pas, nouveau Parmentier, fait des frites les vedettes des cuisines de Ouahigouya ?
N'a t’ il pas couvert "son Yatenga" de pieds de pomme de terre, fruits de l'effort et des savoirs des paysans et des paysannes et de coups de pouce solidaires offerts à leurs  groupements ? »

Voilà un texte qui pourrait être applicable à Bernard Lecomte lui-même à l’exception des pommes de terre… mais il parlerait de « la beauté du ciel et des pentes enneigées » à Bonneville.

A noter la passion de Bernard pour la transmission et son implication auprès de Renée et de son fils dans le GRAD.

« La collection "Porter les Paroles Paysannes", initiée par Bernard, a pour objectif de faire entendre les voix d'acteurs innovants du monde rural africain. Ils y racontent  leurs parcours, parfois à peine croyables, de véritables moteurs du développement local. Toujours profondément ancrés dans leurs milieux, ils y jouent, avec beaucoup de créativité, le rôle d'interface avec la modernité extérieure, mais aussi avec leurs mouvements paysans, leurs États et l'Aide extérieure. Si c'est un défi que de transcrire sur le papier, mais aussi vers le web et les médias sociaux, des paroles fortes et expérimentées issues de cultures orales, dont l'écrit n'est pas le quotidien ; il est cependant capital de faire entendre, avec les outils d'aujourd'hui, à leurs enfants, à leurs frères mais aussi à leurs partenaires et au grand public du Nord, les visions d'hommes et de femmes que nous accompagnons parfois depuis près d'un demi-siècle ! »

Et son intérêt de la communication s’élargit même à la bande dessinée avec la collection Agathe (3 volumes).

Autre facette du personnage : son attention à tous ses nombreux amis, ainsi Paul Schrumpf son ancien collègue CINAM et président du GRDR dont il disait dans sa fin de vie : « rester silencieux l’un près de l’autre était un bonheur »

Avec Etienne Beaudoux il mit en ordre diverses missives de Paul pour faire son histoire de vie en deux fascicules diffusés au sein du GRDR.

Il est désormais dans la Lumière qu'il espérait disait-il pour Paul. Nous lui retournons le vœu : Que la terre lui soit légère et son souvenir toujours présent parmi nous.

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